Indépendance du Commissaire Aux Comptes : Quelles garanties ?
Nous ne pouvons commencer cet article sans rappeler le fameux scandale qui a éclaboussé le géant américain de l’énergie ENRON au début des années 2000. Cette affaire n’aurait jamais pu prendre de telles proportions sans le concours du cabinet d’audit Arthur Andersen.
Ce cabinet, liquidé en 2002 suite à l’ affaire ENRON, faisait partie du club très fermé des plus grands groupes d’audit financier au niveau mondial, appelé alors les « Big Five », a complètement failli à son rôle de certificateur et lanceur d’alerte pour se trouver au cœur d’un système de fraude et de truquage des comptes à très grande échelle.
Ce lourd précédent, suivi par un autre plus retentissant : Lehmann Brothers en 2008 (à l’origine de la terrible crise financière de la même année, et dont les conséquences sont encore ressenties aujourd’hui), a eu l’effet d’un tremblement de terre dans les milieux financiers et a sérieusement remis en question le rôle certificateur du commissaire aux comptes, ce qu’on appelle l’audit légal.
En Tunisie, nous avons connu l’effondrement du géant de la distribution BATAM qui est passé de leader du secteur en Tunisie avec une croissance vertigineuse, à la faillite.
Nul ne peut croire qu’un tel renversement de situation, au niveau d’une telle structure, peut subvenir sans des signaux d’alerte ne soient sciemment dissimulés : le commissaire aux comptes des frères Ben Ayed a purgé une peine de 13 mois de prison !
De tels « cas » nous amènent à nous interroger sérieusement sur la garantie d’une certification apportée lors d’une mission d’audit légal.
Pour rappel, l’audit légal des comptes d’une entreprise peut se définir comme le contrôle indépendant de la représentation donnée par les dirigeants de la position financière de leur entreprise à un moment donné, de manière à constituer une base objective et sûre pour la prise de décision des différents utilisateurs de l’information financière : associés/actionnaires, Administration fiscale, partenaires sociaux, bailleurs de fonds, etc.
En Tunisie, l’auditeur financier est investi de la même mission que ses confrères partout ailleurs. Cependant il y a une spécificité qui le distingue, c’est celle de l’obligation de révéler les faits délictueux détectés au cours de sa mission au Procureur de la République, et ce en application de l’article 270 du Code des Sociétés Commerciales tunisien. Selon cet article, le commissaire aux comptes doit automatiquement signaler les irrégularités et inexactitudes qu’il a relevées au cours de l’accomplissement de sa mission au Procureur de la République en relatant les faits avec clarté et sans ambiguïté et ce, sans que sa responsabilité puisse être engagée pour violation du secret professionnel. La non révélation de ces dits faits est sanctionnée par un emprisonnement de 1 à 5 ans et/ou d’une amende de 1.200 à 5.000 dinars aux termes de l’article 271 du même code.
Si l’on considère les textes de lois obligeant le commissaire aux comptes à révéler et ceux le réprimant en cas d’abstention, on aurait tendance à imaginer un bon pourcentage de cas de révélation au sein de la profession. Or les cas de scandales financiers ont mis le point sur une autre réalité. En effet, le pourcentage de missions ayant donné lieu à la révélation de faits délictueux est de l’ordre de 0,2%. Cependant, les scandales qui ont touché beaucoup de grandes entreprises nous ont bien montré qu’il y a d’énormes problèmes à caractère frauduleux qui auraient pu être contournés si le commissaire aux comptes les avait détectés et surtout révélés à temps.
Un autre indicateur non moins révélateur, est la contradiction entre les résultats des missions d’audit légal et ceux des contrôles fiscaux élaborés par l’Administration.
Plusieurs aspects en relation avec cette problématique pourraient être traités. Mais nous allons nous intéresser à la question de l’indépendance du commissaire aux comptes.
En effet, cette indépendance est déterminante quant à la qualité de la mission menée et donc la confiance qui lui sera accordée.
Force est de constater que cette « indépendance », sous l’influence de plusieurs facteurs, peut se trouver entachée voir complètement biaisée.
Le premier des facteurs, et non des moindres, est la nature de la relation entre l’entreprise (sous-entendu le gérant ou le PDG) et le professionnel : il s’agit d’une relation, avant tout, commerciale et financière.
En effet, la société (cliente) fait appel aux services du commissaire aux comptes (fournisseur de services) et le rémunère (grassement) en contrepartie.
Dans ce même contexte, on constate que le choix du professionnel dépend du seul et unique arbitre du dirigeant de la société. D’où une totale subjectivité, qui confère au dirigeant un ascendant psychologique indéniable dans une relation supposée basée sur l’indépendance.
D’autre part, le mandat du commissaire aux comptes, fixé à trois ans (renouvelable trois fois) favorise, inévitablement, la création de relations humaines et d’affinités pouvant même déboucher, à des degrés différents, sur des amitiés.
Ainsi, le commissaire aux comptes se trouve dans la situation de devoir auditer son client, voir ses amis.
En Tunisie, les pratiques confirment largement ces constats. En effet, le principe de non immixtion dans la gestion de la société est très rarement respecté dans les faits : le commissaire aux comptes est souvent invité aux réunions stratégiques, et son avis est très recherché.
On relève également l’existence de pratiques illégales mais néanmoins très répandues comme :
– L’élaboration de rapports de complaisance, c’est-à-dire des rapports établis sans aucun travail de vérification (pour déposer un dossier de prêt bancaire par exemple)
– L’élaboration du rapport d’audit par le cabinet chargé de la tenue de la comptabilité (qui audite son propre travail !), puis celui-ci fait appel à un confrère pour la signature.
– A l’expiration du mandat légal du commissaire aux comptes, celui-ci continue normalement sa mission mais fait signer ses rapports par un autre confrère (généralement dans le cadre d’échange de « bons services »).
En conclusion nous sommes largement en droit de nous interroger quant à l’indépendance effective du commissaire aux comptes et surtout les conditions pour la garantir. Surtout quand on constate une totale absence de contrôle des autorités et des structures professionnelles.
Les pouvoirs publics gagneraient à protéger, dans la pratique, le statut du commissaire aux comptes en s’attaquant aux pratiques frauduleuses et aux concentrations d’intérêts.
Mais le cœur du problème reste le financement des missions d’audit légal : tant que la société paie son commissaire aux comptes, elle aura toujours une emprise sur lui !
Indépendance du Commissaire Aux Comptes : Quelles garanties ?
Nous ne pouvons commencer cet article sans rappeler le fameux scandale qui a éclaboussé le géant américain de l’énergie ENRON au début des années 2000. Cette affaire n’aurait jamais pu prendre de telles proportions sans le concours du cabinet d’audit Arthur Andersen.
Ce cabinet, liquidé en 2002 suite à l’ affaire ENRON, faisait partie du club très fermé des plus grands groupes d’audit financier au niveau mondial, appelé alors les « Big Five », a complètement failli à son rôle de certificateur et lanceur d’alerte pour se trouver au cœur d’un système de fraude et de truquage des comptes à très grande échelle.
Ce lourd précédent, suivi par un autre plus retentissant : Lehmann Brothers en 2008 (à l’origine de la terrible crise financière de la même année, et dont les conséquences sont encore ressenties aujourd’hui), a eu l’effet d’un tremblement de terre dans les milieux financiers et a sérieusement remis en question le rôle certificateur du commissaire aux comptes, ce qu’on appelle l’audit légal.
En Tunisie, nous avons connu l’effondrement du géant de la distribution BATAM qui est passé de leader du secteur en Tunisie avec une croissance vertigineuse, à la faillite.
Nul ne peut croire qu’un tel renversement de situation, au niveau d’une telle structure, peut subvenir sans des signaux d’alerte ne soient sciemment dissimulés : le commissaire aux comptes des frères Ben Ayed a purgé une peine de 13 mois de prison !
De tels « cas » nous amènent à nous interroger sérieusement sur la garantie d’une certification apportée lors d’une mission d’audit légal.
Pour rappel, l’audit légal des comptes d’une entreprise peut se définir comme le contrôle indépendant de la représentation donnée par les dirigeants de la position financière de leur entreprise à un moment donné, de manière à constituer une base objective et sûre pour la prise de décision des différents utilisateurs de l’information financière : associés/actionnaires, Administration fiscale, partenaires sociaux, bailleurs de fonds, etc.
En Tunisie, l’auditeur financier est investi de la même mission que ses confrères partout ailleurs. Cependant il y a une spécificité qui le distingue, c’est celle de l’obligation de révéler les faits délictueux détectés au cours de sa mission au Procureur de la République, et ce en application de l’article 270 du Code des Sociétés Commerciales tunisien. Selon cet article, le commissaire aux comptes doit automatiquement signaler les irrégularités et inexactitudes qu’il a relevées au cours de l’accomplissement de sa mission au Procureur de la République en relatant les faits avec clarté et sans ambiguïté et ce, sans que sa responsabilité puisse être engagée pour violation du secret professionnel. La non révélation de ces dits faits est sanctionnée par un emprisonnement de 1 à 5 ans et/ou d’une amende de 1.200 à 5.000 dinars aux termes de l’article 271 du même code.
Si l’on considère les textes de lois obligeant le commissaire aux comptes à révéler et ceux le réprimant en cas d’abstention, on aurait tendance à imaginer un bon pourcentage de cas de révélation au sein de la profession. Or les cas de scandales financiers ont mis le point sur une autre réalité. En effet, le pourcentage de missions ayant donné lieu à la révélation de faits délictueux est de l’ordre de 0,2%. Cependant, les scandales qui ont touché beaucoup de grandes entreprises nous ont bien montré qu’il y a d’énormes problèmes à caractère frauduleux qui auraient pu être contournés si le commissaire aux comptes les avait détectés et surtout révélés à temps.
Un autre indicateur non moins révélateur, est la contradiction entre les résultats des missions d’audit légal et ceux des contrôles fiscaux élaborés par l’Administration.
Plusieurs aspects en relation avec cette problématique pourraient être traités. Mais nous allons nous intéresser à la question de l’indépendance du commissaire aux comptes.
En effet, cette indépendance est déterminante quant à la qualité de la mission menée et donc la confiance qui lui sera accordée.
Force est de constater que cette « indépendance », sous l’influence de plusieurs facteurs, peut se trouver entachée voir complètement biaisée.
Le premier des facteurs, et non des moindres, est la nature de la relation entre l’entreprise (sous-entendu le gérant ou le PDG) et le professionnel : il s’agit d’une relation, avant tout, commerciale et financière.
En effet, la société (cliente) fait appel aux services du commissaire aux comptes (fournisseur de services) et le rémunère (grassement) en contrepartie.
Dans ce même contexte, on constate que le choix du professionnel dépend du seul et unique arbitre du dirigeant de la société. D’où une totale subjectivité, qui confère au dirigeant un ascendant psychologique indéniable dans une relation supposée basée sur l’indépendance.
D’autre part, le mandat du commissaire aux comptes, fixé à trois ans (renouvelable trois fois) favorise, inévitablement, la création de relations humaines et d’affinités pouvant même déboucher, à des degrés différents, sur des amitiés.
Ainsi, le commissaire aux comptes se trouve dans la situation de devoir auditer son client, voir ses amis.
En Tunisie, les pratiques confirment largement ces constats. En effet, le principe de non immixtion dans la gestion de la société est très rarement respecté dans les faits : le commissaire aux comptes est souvent invité aux réunions stratégiques, et son avis est très recherché.
On relève également l’existence de pratiques illégales mais néanmoins très répandues comme :
– L’élaboration de rapports de complaisance, c’est-à-dire des rapports établis sans aucun travail de vérification (pour déposer un dossier de prêt bancaire par exemple)
– L’élaboration du rapport d’audit par le cabinet chargé de la tenue de la comptabilité (qui audite son propre travail !), puis celui-ci fait appel à un confrère pour la signature.
– A l’expiration du mandat légal du commissaire aux comptes, celui-ci continue normalement sa mission mais fait signer ses rapports par un autre confrère (généralement dans le cadre d’échange de « bons services »).
En conclusion nous sommes largement en droit de nous interroger quant à l’indépendance effective du commissaire aux comptes et surtout les conditions pour la garantir. Surtout quand on constate une totale absence de contrôle des autorités et des structures professionnelles.
Les pouvoirs publics gagneraient à protéger, dans la pratique, le statut du commissaire aux comptes en s’attaquant aux pratiques frauduleuses et aux concentrations d’intérêts.
Mais le cœur du problème reste le financement des missions d’audit légal : tant que la société paie son commissaire aux comptes, elle aura toujours une emprise sur lui !